La vie est un puzzle

mardi 29 avril 2008
par  Christian LEJOSNE
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Dernièrement, en lisant W ou le souvenir d’enfance de Perec, une phrase s’est incrustée en moi : l’indicible n’est pas tapi dans l’écriture, il est ce qui l’a bien avant déclenchée (1). Cette phrase, écrite entre parenthèses, comme pour être surlignée en creux dans le corps du livre, m’avait imprégné. Elle dépassait mon entendement et, en même temps, il me semblait qu’elle était la clé d’une explication plus générale… La pièce maîtresse d’un vaste puzzle dont je viens seulement de trouver l’exact emplacement.

Depuis un an j’ai mal à l’épaule gauche, une douleur persistante qui est apparue brusquement en décembre 2006 et qui ne me quitte jamais tout à fait. Au départ, je ne pouvais plus lever le bras au delà de l’horizontale. J’ai consulté mon médecin qui a diagnostiqué une crise d’arthrite et qui m’a précisé que ce genre de douleur était inexpliqué par la médecine : parfois ça partait comme c’était venu, d’autres fois ça s’installait durablement. Elle m’a fait une séance d’acupuncture … qui a sensiblement amélioré mon état sans toutefois que la douleur ne disparaisse tout à fait. Elle restait là, languissante. Parfois, elle se déplaçait légèrement, passait dans le bras avant de revenir s’ancrer à un endroit précis du dos, à mi chemin entre le bas de l’omoplate gauche et les vertèbres, en un point aussi réduit qu’une pièce d’un euro. La douleur était parfois vive, parfois ténue, parfois sourde. D’autres fois, je ne la sentais pas pendant plusieurs jours, jusqu’à ce qu’elle fasse sa réapparition, souvent la nuit – le côté gauche étant celui sur lequel je dors. Le mois dernier, j’ai consulté une kinésiologue. La kinésiologie est une technique qui consiste à interroger le corps par des questions binaires (où la réponse est oui/non) ; pratiquement, l’interrogation se fait à partir d’un test musculaire. Ca part du principe que le corps a conservé en lui la mémoire de notre passé, et qu’en conséquence il est possible de déprogrammer des schémas qui se sont construits en réaction à des situations vécues difficilement. Au départ, les questions sont parties de ce que je ressentais par rapport à mon chien, qui est vieux et qui passe par des stades où il va mal, où l’on craint qu’il ne meure et d’autres où il se retape et redevient gai et joyeux. Mon corps disait qu’il y avait un rapport mais indirect. En remontant le fil, nous en sommes arrivés à ce que j’ai ressenti dans diverses situations où il était question de chagrin, de tristesse et de consolation. En questionnant mon corps, elle est remonté jusqu’à mes dix ans. Avais-je le souvenir d’avoir consolé quelqu’un, vivant un terrible chagrin ? Non, je ne voyais rien … Elle posa alors la question autrement : avais-je vécu une situation où personne ne me consola ? Une situation vécue comme difficile à surmonter en tant qu’enfant ? Et là, oui, tout à coup, un évènement revenait, un évènement que je n’avais pas oublié, qui avait même été déterminant dans ma vie – je le citerai volontiers parmi les évènements les plus traumatisants de ma vie. Cet évènement je l’avais décrit dans un livre relatant mes souvenirs d’enfance (2). Ce chagrin d’enfant ravalé, qui prend sur lui d’être fort alors qu’il a besoin d’aide, m’était resté gravé dans le corps. A tel point que dans certaines situations, je ravale mes larmes et mon corps encaisse ce refus d’exprimer ma tristesse. La kinésiologue a déprogrammé ce schéma dans mon corps (depuis plus d’un mois, ça va beaucoup mieux, merci !) En reparlant de ce que j’avais vécu à dix ans, j’ai dit « pour moi, cet épisode marque une rupture dans ma vie : il y a un avant et un après cette date. »

En rentrant chez moi, j’ai relu le chapitre où j’avais relaté cet événement, persuadé que j’y retrouverai l’expression que je venais d’employer. Comme je ne la retrouvais pas, j’ai cherché à quelle occasion j’avais pu l’écrire, convaincu que j’avais déjà écrit précisément ces mots. Je les ai retrouvés dans ma chronique J’écris au bras du temps (3) où je raconte comment j’ai vécu l’arrêt de la chronique hebdomadaire d’Alain Rémond dans Télérama en juillet 2002. Il écrivait alors : « Parce que vous et moi, dans Télérama, c’est fini. C’est la dernière fois que je vous écris. C’est ma dernière chronique. Voilà, c’est ainsi : un jour on doit partir. » Dans ma chronique, j’expliquais que j’avais alors ressenti : « comme un coup de couteau dans le ventre. Comme un grand vide qui s’installait, irrémédiablement. Il y a en moi, un avant et un après juillet 2002. » Je précisais que là était né mon désir d’écrire.

Christian LEJOSNE

(1) Editions Gallimard- L’imaginaire page 63
(2) Le fil, récit autobiographique écrit en 2005, relaté dans la chronique n° 19 d’Octobre 2005 Ecrire sur le fil
(3) Chronique n°29 de Septembre 2006. Ces chroniques sont accessibles sur http://paulmasson.atimbli.net dans la rubrique Plaisir d’écrire


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