Le tambour du souvenir

mardi 18 décembre 2007
par  Christian LEJOSNE
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Le docteur Stanislav Grof a commencé ses expériences à l’Institut psychiatrique de Prague, dans les années cinquante. Sur les consignes du ministère de la santé, il faisait prendre du LSD aux malades mentaux. La règle voulait que les médecins encadrant ce programme soient amenés à en prendre eux aussi, pour comprendre l’état des malades de l’intérieur.

Ce qui étonnait les psychiatres tchèques, c’est à quel point les scènes de traumatismes anciens étaient rappelées à la conscience à l’occasion de ces séances, mais également comment elles étaient alors revécues sur le plan physiologique. Tel cet homme, se retrouvant comme à huit ans, en train de se faire tabasser par son père, pleurant, devenant tout rouge, et dont les traces des coups réapparurent sur son corps. Tel autre, dans une crise de démence aiguë, se roulait à terre en proie aux démons. Plus tard, ayant atteint un état de paix intérieure inédit pour lui, il dessina, pour décrire ce qu’il avait vécu, le corps d’un enfant pressé dans une machine à hacher la viande. La seule conclusion à laquelle arrivèrent les médecins c’est que cet homme avait revécu sa naissance. Stanislav Grof mettra dix ans à énoncer la théorie des matrices périnatales : quatre temps successifs de la naissance, représentés par quatre tambours sur lesquels viendraient résonner ultérieurement tous les événements traumatiques de nos vies. Pour construire sa théorie, il aura engrangé et analysé plus de cinq mille récits d’expériences menées sous acide, récits qu’il tentait de recouper avec les familles des patients pour en vérifier la réalité des faits. La théorie qu’il a formulée veut que, dans un état second induit par la drogue, le psychisme repère les blocages énergétiques principaux et tente de s’autoguérir en reproduisant l’événement vécu. Les charges sont ainsi libérées par le corps puis retravaillées au niveau psychologique. Selon Grof, la naissance s’effectue en quatre temps. Un : d’abord, tu es bien, immensément bien dans cette vague océanique à l’intérieur du ventre maternel qui te confère une sensation d’unité. Plus tard, toutes les grandes extases, la sérénité, l’impression de fusion feront résonner ce premier tambour. Deux : un jour, ton bonheur bascule en enfer, tu te sens à l’étroit. L’utérus se contracte de toutes parts, ta situation te semble sans issue. Toutes les situations traumatisantes vécues en particulier dans l’enfance, feront résonner cette seconde matrice comme un marquage au fer rouge. Trois : le col de l’utérus s’est lentement ouvert. De l’enfer absurde, tu bascules dans quelque chose d’infiniment plus violent encore, mais une direction est prise, une issue semble possible au delà de ce passage. Jouissance extrême et souffrance extrême inextricablement emmêlées. Les adeptes des actes sado-maso auraient une troisième matrice particulièrement chargée. Quatre : enfin, après cette violence apocalyptique, tu es chassé hors de ton paradis. Ta première gorgée d’air coïncide avec ta première affolante impression d’étouffer. Mais enfin, tu es libre. La quatrième matrice a le bonheur humble, c’est la grande solitude humaine qui résonne.
Selon Grof, c’est sur l’un de ces quatre tambours, celui qui a été vécu comme le plus traumatisant, que viendront résonner les événements ultérieurs de notre vie. Voilà pourquoi nous nous retrouvons parfois angoissé, désespéré ou triste d’une façon que nous jugeons sans commune mesure avec ce qui nous arrive. Nous n’avons pas de mots pour décrire ce qui nous affecte car le tout s’est passé avant l’acquisition du langage. Seul résonne le tambour du souvenir originel. (1)

Lors d’un récent atelier d’écriture, nous devions faire un récit sur la conscience pure d’exister, à partir de notes prises en temps réel, comme un scientifique faisant une expérience. Pour nous préparer à cette expérience, on écouta deux Å“uvres musicales ainsi qu’un texte d’Henri Michaux, qui essayait de vivre des états de conscience altérée en écrivant sous l’influence de drogues. Michaux voulait inventer un langage préverbal qui lui soit propre, issu de ses sensations et de son corps. Voici le texte que j’ai écrit lors de cet atelier : « Lent engourdissement du son. Voix enrayées, ventre éventré. Manger ses paroles nues. Quand ça reflue, ravaler le trop plein. Et puis le calme enfin revenu de la voie lactée. Voile bruissant de blancheur. Ange déchu, tu finiras bien par fabriquer des formes. Expansion. Explosion exemplaire. Rupture. Rupture encore. Et tout à coup, tout au fond, cette douce chanson en sourdine qui remonte en boucles dorées, et rodées, et polies, et tissées aussi. Ca glisse dans les tubes d’acier lisses. Le souvenir du souvenir du vide est un silence fardé. »

A la lecture des textes écrits lors de cet atelier d’écriture, j’ai été frappé par les analogies avec la naissance. Comme si les consignes d’écriture avaient fait résonner en nous le tambour du souvenir de notre naissance.

(1) Cette chronique reprend des extraits d’un article de Patrice van Eersel sur Stanislav Grof, publié dans Actuel, disponible sur http://www.nouvellescles.com/article.php3?id_article=521&var_recherche=Grof


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