Internet et moi

lundi 2 juillet 2007
par  Christian LEJOSNE
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Trois ans et demi d’âge et trente huit numéros pour cette chronique. Le dossier du mois de juin de la revue « La faute à Rousseau » de l’Association pour l’autobiographie (1) sur le thème Internet et moi était une bonne occasion pour tenter un regard (un peu) distancié de ma pratique d’écriture.
Quelle joie de voir ma contribution publiée parmi celles d’auteurs tels que Martin WINCKLER et Philippe LEJEUNE !
Cette contribution, je vous la dois :

Le lien entre Internet et moi était aussi ténu, il y a quelques années, qu’entre un poisson et une bicyclette pour paraphraser un propos connu. Il a fallu beaucoup d’insistance pour qu’un ami parvienne à me convaincre de connecter mon ordinateur sur la Toile. Et encore, mon seul usage s’est longtemps limité à envoyer des messages à des destinataires aussi nombreux que les doigts de mes deux mains, ceux qui me servent à taper sur mon clavier – trois ou quatre pour être honnête. Une décision aussi soudaine qu’irréfléchie a radicalement modifié mon rapport à cet outil. Le 3 décembre 2003, j’envoyais une première chronique – sur laquelle j’avais sué sang et eau pour exprimer deux idées bancales – à l’ensemble de mon fichier d’adresses électroniques, soit environ quatre vingt personnes, amis, famille et connaissances. Le message qui accompagnait cet envoi précisait : « cela fait un moment que ça me démangeait et j’ai décidé de passer à l’acte. J’ai pris la plume, comme d’autres prennent les armes, le maquis, le tangente. D’où cette chronique de l’air du temps qui s’écrira au gré de mes envies, de mes humeurs, des coups de gueule et des coups de blues qui parsèment nos existences. Une chronique aléatoire à publication aléatoire, qui parle de riens, de tout, de moi et du monde, de ce grand vide sidéral où nous mène ce troisième millénaire naissant avec tous ses excès : le toujours plus, toujours plus vite, toujours plus kitsch, toujours plus faux. » Je complétais cet envoi électronique par l’expédition postale d’une dizaine de copies dressées aux derniers amis récalcitrants aux nouvelles technologies.
Quels enseignements tirer de cette expérience particulière de journal électronique après trente cinq numéros et un peu plus de trois ans de pratique, tandis que je n’avais rien écrit de personnel depuis mon adolescence, il y a plus de trente ans ? J’en vois principalement trois.

Tout d’abord écrire ses ressentis est communicatif. Après chaque envoi plus ou moins mensuel de ma chronique, je reçois entre dix et trente messages en retour, complétant mon point de vue, rapportant une expérience personnelle, réagissant avec ferveur sur un point de désaccord, ou simplement pour dire le plaisir d’avoir passé quelques minutes à me lire. Ce qui fait que selon mes calculs, plus de la moitié des deux cent personnes (mon carnet d’adresses s’est enrichi de nombreuses rencontres) recevant actuellement mes chroniques, a pris le temps de me répondre, au moins une fois ; une trentaine de lecteurs fidèles le faisant plus ou moins régulièrement. Par effet de contagion autobiographique, pas moins de cinq chroniques, bâties sur le même concept que la mienne, ont vu le jour, rédigées par des lecteurs devenus eux-mêmes rédacteurs. Comme le disait l’un d’entre eux « heureusement que tout le monde ne fait pas comme nous, on passerait notre temps à se lire et il n’y aurait plus personne pour regarder TF1. »

Ecrire m’a aussi donné envie d’aller plus loin dans l’écriture et de varier les genres. J’ai rejoint un atelier d’écriture (2) et j’ai ressenti le besoin d’une écriture encore plus autobiographique. J’ai eu envie d’écrire sur mon enfance. Parallèlement, j’avais le désir d’offrir à mon père, pour ses quatre-vingts ans, une sorte de livre retraçant sa vie. Ces deux idées ont finalement fusionné en un seul projet. Ecrire sur son enfance, c’est s’offrir un voyage. Un voyage dans le temps. J’ai écrit en grandes parties pendant des périodes de vacances. En deux fois, en avril et août 2005. Pendant une quinzaine de jours. Ca a été facile. J’ai tiré un fil et la pelote
s’est dévidée toute seule. Une idée en appelait une autre. Les grandes lignes ont pris place assez vite. Des souvenirs enfouis revenaient, remontaient au jour comme des bulles d’air quittant la vase. Eclatant à la surface et ridant l’eau de cercles concentriques qui s’élargissaient silencieusement. Ca a donné un texte de cent dix huit pages, intitulé Le fil (3). Récit croisé de la jeunesse de mon père et de la mienne, mettant en relief nos ressemblances de lignée, malgré nos différences de conditions de vie : lui a connu la guerre 39-45, moi l’insouciance joyeuse de l’après 68. Cette expérience a bien évidemment nourri quelques chroniques. Après trente cinq numéros, je peux dire que le contenu des deux tiers des chroniques concerne des expériences personnelles, présentes ou passées, et que le tiers restant relève de mon rapport aux autres, de la façon dont je vois le monde qui m’entoure. Alors qu’en commençant cette démarche, je pensais que mes écrits parleraient avant tout du monde, force est de constater que j’y parle surtout de moi…

Enfin, je pense qu’écrire sur soi est thérapeutique. Et diffuser ses écrits est encore le meilleur moyen de se libérer du poids des maux qu’ils représentent. Exprimer veut dire littéralement presser au dehors. Pour dire qui je suis. Pour me libérer de poids anciens qui m’alourdissaient. Pour retisser des liens et pour en dénouer d’autres. Des liens du passé qui prennent un sens nouveau dans le présent. Il m’a notamment fallu deux chroniques et la réaction virulente d’une amie lectrice pour que j’accepte l’idée de signer mes textes de mon vrai nom sans me cacher derrière un pseudonyme. Mois après mois, je me dévoile dans cette chronique comme on le fait dans un journal intime, en posant les questions qui me viennent, au fur et à mesure qu’elle viennent, dans un ordre décousu, sans savoir ce qu’il me sera offert d’écrire dans la chronique suivante. En tentant d’aller recontacter le meilleur de moi et en l’offrant à mes lecteurs. Comme un perpétuel examen de conscience. Une hygiène de vie. Un sport de combat. Un acte d’amour.
Dernièrement, un ami m’a ouvert les pages du site Internet qu’il a réalisé pour y mettre à disposition ses trente années d’expérience personnelle d’éducation populaire. J’y ai regroupé l’ensemble de mes chroniques, les rendant ainsi accessibles à tous de façon permanente (4). Une étape supplémentaire dans les rapports désormais plus étroits qui existent entre Internet et moi. Mon père a toujours réglé sa montre avec cinq minutes d’avance sur l’heure officielle. C’est sa façon à lui d’anticiper sur les événements qui vont lui arriver, nécessairement. Et ça marche. Ca fait quatre-vingts ans que ça marche. La SNCF ne fait pas autre chose quand ses grandes horloges, qui trônent au fronton des gares, avancent de quelques minutes. Elle invite simplement le voyageur à être présent sur le quai avant le départ de son train. Des millions de voyageurs sont entrés dans sa logique et sont ainsi arrivés à bon port. Le monde est une construction. Chacun se le fabrique en regardant par son trou de serrure. Six milliards d’individus, observent le monde à travers le trou de leur serrure. Au fond, notre seule façon d’aller à la rencontre des autres, n’est-ce pas de tenter de leur montrer ce que l’on voit par son trou de serrure. Humblement. Modestement. Pour moi, écrire c’est être toujours sur le fil, dans ce no man’s land entre moi et les autres. Dans cette tentative désespérée de tordre leur regard pour qu’il passe par le trou de ma serrure. Et c’est une chance si demain mon trou de serrure s’ouvre sur l’écran de leur ordinateur.

Christian LEJOSNE

(1) L’Association pour l’autobiographie (APA) regroupe depuis 1992 des manuscrits autobiographiques (plus de 2000) rédigés par des personnes célèbres et des anonymes. Chaque texte donne lieu à une note de présentation facilitant la recherche. L’ensemble des documents est conservé et accessible à la bibliothèque municipale d’Ambérieu-en-Bugey (Ain). Site Internet : www.sitapa.free.fr
(2) La Boutique d’écriture de Peuple & culture à Montpellier – Atelier encadré par l’écrivain Hervé PIEKARSKI
(3) Texte déposé à l’APA (sous la référence 2424). Extrait de la note de présentation de l’APA, rédigée par Christiane JEANNETTE (Strasbourg) : « Le récit croisé de la jeunesse du père et du fils met en relief la différence de leurs conditions de vie. A l’obligation de gagner sa vie dès l’âge de seize ans du père, à son expérience de la guerre, s’opposent la jeunesse insouciante du fils, sa contestation joyeuse et sans risque de la société. On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans : cela n’est vrai que du fils. Le texte de Christian Lejosne vaut aussi pour ses questions, notamment sur le thème du hasard et de la fatalité dans l’aventure d’une lignée. (…) Une grande loyauté familiale à l’égard du père est ce qui caractérise le récit du fils et en fait la force. »
(4) Site Internet : http://paulmasson.atimbli.net dans la rubrique Plaisir d’écrire


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