Le bonheur, tout à l’heure

mercredi 7 mars 2007
par  Christian LEJOSNE
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Ca m’est venu un dimanche. Quelque temps après notre arrivée à Montpellier. Je courrai le long du Lez. J’ai senti comme un malaise… en pensant à ma vie. Comme dans un rêve où l’on tombe dans un trou noir. Sans rien pour se raccrocher. Je prenais tout à coup conscience que depuis plus de vingt ans que je travaillais, ma vie me filait entre les doigts sans me laisser de répit. Vingt ans sans interruption à courir après un boulot, un logement, une activité associative ou militante. Vingt ans à me former, à chercher l’étape suivante, à anticiper pour ne pas me retrouver écarté de « l’assiette au beurre ». Et tout à coup, je prenais conscience que ma vie n’était qu’une éternelle fuite en avant, un grand bluff contre moi-même …

Comme un toxico, j’ai dû me désaccoutumer de cette urgence à vivre. Apprendre à prendre le temps. D’abord progressivement parce que je n’avais pas l’habitude et aussi parce que ça s’apprend. Maintenant, je vais beaucoup mieux. Je peux rester des heures à ne rien faire, à regarder les nuages avancer lentement dans le ciel sans même ressentir le besoin de prendre un livre ou de m’occuper l’esprit.
Avant, je pouvais être joyeux, excité, content par ce que je faisais. Mais étais-je heureux ? Le bonheur peut-il vraiment exister sans un minimum de lenteur ? Je pris conscience que mon hyper-activité ne me menait à rien. Je fis, sans le savoir, l’expérience du « lâcher prise » que préconise le psychiatre Christophe ANDRE dans Vivre Heureux (1). On y lit notamment qu’il existe plusieurs formes de bonheur qu’il est bénéfique de savoir toutes savourer sans modération (2).

L’avenir de la France n’est pas un immense parc de loisirs ». Les formules de Jean Pierre Raffarin se dispensent elles aussi sans modération. Surtout lorsqu’elles relayent le discours du lobby patronal. En particulier quand ce dernier vante le goût de l’effort et condamne la paresse des Français. Paresseux les Français ? A voir ! Ne serait-ce pas plutôt la place du travail dans la société qui aurait changé depuis une vingtaine d’années ? Pour la génération de l’après guerre 39-45, les perspectives de carrières qui valorisaient l’individu, compensaient largement les contraintes du travail. Aujourd’hui, cela n’est plus vrai. D’abord parce que l’ascenseur social est en panne. Ensuite, parce que le discours néo-libéral incitant chacun à quêter sa satisfaction sans entrave a également conquis l’esprit des salariés. Ceux-ci revendiquent la possibilité de consacrer leur vie à autre chose que seulement travailler (3).

A propos du travail, Ernest Antoine Seillière, le chantre du « libre entreprendre » se veut néanmoins résolument optimiste. Il l’a dit fin août devant ses ouailles réunies pour la grand messe d’été du MEDEF : « J’ai lu sur les tee-shirts du Larzac cette formule elliptique et interrogative « un autre monde est possible » ; c’est très romantique et un peu désespéré. Critiquer le monde dans lequel nous sommes, cela fait partie du devoir des contestataires. Mais c’est à partir des données du monde dans lequel nous sommes qu’il faut chercher à vivre, à progresser, faire de la croissance, de l’emploi et assurer si possible (sic) l’épanouissement de tous. »
Le baron Seillière est un homme très occupé qui tire sans doute un évident bonheur de son action tonitruante. Toujours à la poursuite de stimulations qui lui donnent le sentiment d’exister et de contrôler d’avantage son environnement. De même qu’il lui est difficile d’imaginer d’autres mondes possibles en dehors de celui qu’il cherche à nous imposer, il commet l’erreur de négliger d’autres types de bonheurs ? Imaginez qu’il se mette tout à coup à regarder le plafond lambrissé ou les nuages par la fenêtre de son bureau high-tech … Comme un malaise planant au dessus du Médef.

Christian LEJOSNE

(1) Christophe ANDRE « Vivre Heureux » édition Odile Jacob.

(2) Chaque forme se conjugue avec un verbe. Etre (se sentir exister, se réjouir d’un instant vécu) ; avoir (posséder un livre, vivre dans un lieu que l’on aime) ; faire (marcher, fabriquer, parler avec des amis) ; appartenir (vivre au sein d’une famille, travailler en équipe, être aimé d’une communauté d’amis).

(3) Sur ce sujet, voir de toutes urgences le dernier film de Pierre CARLES « Attention danger travail ! ».


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