Passeur de passion

mercredi 7 mars 2007
par  Christian LEJOSNE
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L’autre nuit, j’ai fait un rêve. J’habitais dans la maison où je vivais lorsque j’étais petit. C’était le matin. Je devais me lever pour aller à l’école. Malheureusement, mon réveil n’avait pas sonné. Mon père l’avait pourtant réglé la veille au soir.

C’était un réveil compliqué : il était aussi grand qu’une armoire et possédait des sortes de casiers sur chacun desquels était instruite une proposition de situation. A chaque situation possible de réveil, correspondait un bouton de réglage sur lequel appuyer.
Mon père, qui avait pourtant été horloger, s’était trompé d’affirmation lors du réglage, en conséquence de quoi, le réveil n’avait pas sonné. (En y repensant maintenant que je suis bien réveillé, ce réveil ressemblait très fort à un meuble de rangement à casiers, dans lequel mon père rangeait à l’époque ses outils d’horloger). J’étais donc en retard. Ma mère l’enguirlandait copieusement pour cette bévue.

Puis, je descendais l’escalier qui menait de ma chambre au rez-de-chaussée. Au bas de l’escalier, là où nous laissions habituellement nos pantoufles, se trouvait une boîte à archives en carton, couchée sur le côté et ouverte. Des papiers, des dossiers traînaient tout autour. Sans que ça ne soit explicitement écrit sur la boîte, je savais qu’il s’agissait d’un dossier qui m’appartenait et qui avait pour thème « Ã©ducation et culture ». Je me baissais et ramassais les papiers éparpillés, faisant rapidement le tri entre ce qui m’appartenait – que je rangeais soigneusement dans la boîte – de ce qui n’était pas à moi. Puis j’entrais dans la cuisine …

J’ai relu récemment (quelques jours après ce rêve) « Cinq leçons sur la psychanalyse » rassemblant cinq conférences que Freud fit en 1904. L’une d’entre elles parle de l’interprétation des rêves : « Vous serez en outre étonnés de découvrir dans l’analyse des rêves, et spécialement dans celle des vôtres, l’importance inattendue que prennent les impressions des premières années de l’enfance . Par le rêve, c’est l’enfant qui continue à vivre dans l’homme, avec ses particularités et ses désirs, même ceux qui sont devenus inutiles. C’est d’un enfant, dont les facultés étaient bien différentes des aptitudes propres à l’homme normal, que celui-ci est sorti. Mais au prix de quelles évolutions, de quels refoulements, de quelles sublimations, de quelles réactions psychiques, cet homme normal s’est-il peu à peu constitué, lui qui est le bénéficiaire – et aussi, en partie, la victime – d’une éducation et d’une culture (1) si péniblement acquises ! ». (2)

J’avais en quelque sorte vérifié, à travers l’expérience de mon rêve, la preuve incontestée de la fiabilité de la psychanalyse. Epoustouflant, non ?

Une récente étude du Ministère de la Culture (3) montre que la passion pour une pratique culturelle serait d’avantage un bagage familial (54 % la tienne d’un parent) qu’une transmission passant par l’école : seulement 11 % des plus de 60 ans et 5% des 14-28 ans évoquent leurs professeurs comme passeurs de passion.

Je me souviens parfaitement ce qui a déclenché mon goût pour la lecture. J’avais une douzaine d’années, quand mon frère m’emmena à un spectacle où Gérard Guillomat mettait en scène des contes de Maupassant. Pendant une heure et demi, je fus littéralement transporté dans une autre époque, un autre environnement. J’avais partagé le monde fabuleux de l’imaginaire d’un auteur à travers une lecture admirablement bien restituée par la voix d’un conteur d’exception. Je n’avais, à l’époque, jamais lu un seul roman et été peu captivé par mes cours de français. Néanmoins, le lendemain du spectacle, sans doute encore sous le coup de l’émotion, je racontais ma découverte à Monsieur Gossart, mon professeur de français, qui m’invita à retrouver le plaisir ressenti lors du spectacle par la lecture des « contes de la Bécasse » et autres nouvelles de Maupassant, ce que je fis peu de temps plus tard.

Je me souviens encore qu’à la fin de cette même année scolaire (j’étais en cinquième), ce même professeur nous fit laborieusement copier pendant deux heures une liste de livres à lire pendant les vacances d’été. Cette liste, je l’ai gardée longtemps, bien au delà du mois de septembre, en cochant chacun des livres que j’avais progressivement lu. Selon cette étude, dans ma tranche d’âge, les enseignants passeurs de passion pèsent moins de 10 %. Pour moi, ce professeur représente beaucoup plus qu’une simple statistique dans une étude ministérielle. Merci Monsieur Gossart ! La passion de la lecture que vous m’avez communiquée ne m’a plus jamais quitté. Dans un prochain rêve, si je croise à nouveau ma boîte à archives, j’irai y rechercher votre liste de livres.

Christian LEJOSNE

(1) C’est moi qui souligne
(2) Edition Pbp – p. 40-41
(3) Développement culturel n°143 – février 2004. Transmettre une passion culturelle. Téléchargeable sur www.culture.gouv.fr/dep


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