Il est où, le bonheur

dimanche 24 mai 2020
par  Paul MASSON
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Il est où le bonheur, [1] est autant la réflexion d’un homme d’aujourd’hui qu’un essai politique sur la crise climatique. Au fil des pages, le journaliste documenté fait place au militant engagé qui lutte pour une société plus juste et écologique. L’humaniste cultivé interroge l’histoire sociale pour envisager des sorties positives à la crise que nous vivons. Le père de famille, soucieux du monde que nous allons laisser à nos enfants, s’interroge en philosophe sur ce qui fait le bonheur.

Tous ensemble, la première partie, traite du réchauffement climatique et du constat que, si tous les humains de la planète seront touchés, ils ne le seront pas tous avec la même violence et pas tous au même moment.

Les maîtres du Titanic, présente l’attitude de ceux qui nous dirigent face au péril. Sur la partie haute du bateau, loin de ceux qui dans la cale commencent à sombrer, ils continuent à faire la fête, et entretiennent l’illusion que tout va bien pour sécuriser les passagers inquiets, qui sur le pont, souhaitent entendre que tout va bien.

A la lumière de Jaurès, commencent des réflexions sur des rencontres entre l’auteur et Tim et Sarah, et d’autres jeunes de « Youth for climat ». Il y exprime d’abord sa stupéfaction. « A 16 ans, vous en savez autant que moi à 43 ans ! Alors que je bouffe des bouquins la dessus... » et « plus que des intellectuels plus âgés, qui ont blanchi sous le harnais pleins de talent, des génies même »1 (p 70). Il constate « une formidable maturité, mais mêlée à une telle naïveté ! A une candeur politique... ».
« Depuis l’automne on manifeste, et rien n’a changé ! se lamentait Tim. Le gouvernement m’a déçu, il n’a pris aucune mesure ». L’auteur constate, qu’« en l’espace d’une seconde », leur discours tangue entre les deux pôles opposés de l’axe « le changement peut se faire dans la bonne entente / confiance » et « violence / passage aux armes ». Il propose, pour élucider leur « candeur politique », un éclairage historique sur le travail des enfants. Ça commence par le début de Melancholia [2] de Victor Hugo

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d’une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d’airain, tout est de fer….
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »

Puis l’auteur rend compte de l’accueil ému à l’Assemblée Nationale, quand, en 1840, le docteur Villermé [3] présente son rapport. Le consensus sur la situation est total. Mais les horreurs enfantines perdureront encore un demi-siècle. « La morale et les intérêts, voilà qui fait deux. Et au Parlement, on les voit ressortir à nu, ces intérêts. Interdire le travail des enfants, personne n’y songe » « Pour leur dieu Profit, ils l’ont fait, sans rougir, durant un siècle ». Il termine son rappel historique par le scandale, toujours actuel du travail des « anges dans un enfer », exporté loin de nos yeux, loin de nos lois en Inde, en Indonésie, en Asie … par leurs descendants… les Adidas, les Lee Cooper, les Nike...
Après avoir démonté les réponses illusions, il met en avant que les changements ne viennent que par la Lutte et la Loi, avec des alliances. Il l’illustre avec Jaurès :

Il a fallu Jaurès, au socialisme français … cet agrégé, ce fils de bonne famille,
Et il a fallu le peuple à Jaurès, pour qu’il devienne Jaurès

Les deux cœurs poursuivent la même idée des alliances nécessaires. Comme en 1789, celle de la bourgeoisie éclairée et du peuple, comme en 1936, celle des urnes et de la Loi, comme en 1968 des étudiants et des ouvriers, comme en 1981, celles des forces populaires et des urnes.
Pour faire reculer ceux qui pour leur dieu Profit sont prêts à tout, sans rougir, il site Gramsci « On ne fait pas de politique-histoire sans cette passion, c’est à dire sans cette connexion sentimentale entre intellectuels et peuple-nation. »

La vie en vert et Essayer quelque chose présentent les espoirs qui naissent et des orientations. Il s’appuie sur les changements en cours dans nos têtes : le peuple se détache de l’idéologie dominante, il n’adhère plus à la croyance que le progrès, le bonheur passeront par la croissance. L’auteur mentionne les apports récents de la science : La nature, dont nous faisons partie, ce n’est pas que la loi de la jungle (concurrence, compétition), c’est également la coopération, l’entraide. On trouve cela déjà chez les plantes et les animaux. Mais il a conscience qu’en face, le pouvoir mène une offensive… « Ils feront passer bientôt l’exigence de justice comme un égoïsme. »

Un essai de 180 pages, facile à lire. La construction en 6 parties et 51 sous-parties, chacune développant une idée, aide à suivre l’avancée et mémoriser la réflexion de l’auteur. Par sa forme et sa richesse documentaire, c’est un travail de journaliste.

Retrouvez les chroniques littéraires


[1Il est où, le bonheur François RUFFIN Les Liens qui Libèrent oct 2019

[2Melancholia Victor Hugo, Les Contemplations, Livre III

[3« Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie » (1840) où il présente, entre autre, les conditions de travail des enfants.


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