Irrésistible fracture

mardi 6 mars 2007
par  Christian LEJOSNE
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Je m’étais pourtant promis de ne pas vous en parler. Et puis, hier soir aux infos, j’ai entendu le lapsus d’Ernest Antoine Seillière. La période d’essai de deux ans du nouveau contrat à durée indéterminée inventé par notre nouveau Premier ministre pour nous redonner le moral en cent jours, était devenue dans la bouche du patron du MEDEF une période de préavis… Préavis, ça évoque plutôt le licenciement, non ? Alors, je craque ! Excusez-moi !

La plupart des hommes politiques appelaient à voter pour le oui au référendum sur la constitution européenne. Bien que désavoués par les électeurs, cela ne les empêche pas de faire comme si rien ne s’était produit. Chirac, par le jeu des chaises musicales, reprend les mêmes dans son gouvernement, moins un (Raffarin), plus un (Sarkozy). Celui-là même qu’il ne voulait pas l’an dernier voir cumuler la présidence de l’UMP avec un poste de ministre. Hollande resserre les boulons au PS à l’aide de la bonne vieille méthode stalinienne, en évinçant les derniers cadres socialistes en phase avec l’électorat populaire. Les medias continuent la promotion de la pensée unique, comme si l’on n’avait pas voté : les français n’auraient pas compris les enjeux (malgré l’ampleur des campagnes « ouiouistes »), le modèle de globalisation de l’économie serait le seul possible (auquel cas, à quoi bon nous demander notre avis), et les partisans du non seraient nécessairement de vieux nostalgiques d’un nationalisme étroit.

Cette cécité des politiques et des medias est inquiétante, tant elle marque la fracture qui semble maintenant irréversible avec le citoyen. S’il ne vote pas, on dit de lui qu’il se désintéresse de la politique. Mais s’il vote autre chose que ce que l’on attend de lui, c’est qu’il n’est pas apte à la démocratie. Tout cela ne serait que baliverne si la vie quotidienne d’une part grandissante de nos concitoyens ne devenait de jour en jour plus difficile. Les oubliés de l’égalité des chances n’ont qu’à bien se tenir. Les lycéens en grève qui ont longuement manifesté contre la loi Fillon au printemps dernier se retrouvent condamnés à des peines exorbitantes, sans commune mesure avec leurs actes, fussent-ils avérés ? Les manifestations agricoles et viticoles ont fait pourtant plus de dégâts qu’un supposé crachat lancé au visage d’un commissaire de police, sans que personne ne s’en offusque ni que justice ne soit même sollicitée. Les jeunes multi récidivistes vont voir leurs peines confortées depuis le retour de Sarko aux affaires (c’est pourtant une catégorie en baisse qui représente moins de 3 % de la population carcérale). Tout se passe comme si être jeune et avoir une gueule d’immigré (même si l’on est de nationalité française) impliquait nécessairement d’être relégué au dernier rang de la queue de ceux qui cherchent un emploi ou un logement. Mais au premier rang de la file des condamnés pour fait de pauvreté et délit de sale gueule.

Cette société bloquée m’en rappelle une autre. Quand je suis entré à l’école élémentaire, mon institutrice m’a dit « tu tiens ton porte-plume de la mauvaise main, mon garçon », pleine de certitudes et de reproches confondus. La mauvaise main pour elle, c’était comme avoir le mauvais Å“il. Etre tout droit sorti de l’enfer. Ou plutôt tout gauche. On entre tout droit au paradis, mais tout gauche en enfer. Et l’on n’en ressort que droitier ou mort. Les gauchers, c’était comme les indiens. A peine des hommes, des dégénérés. Dans certaines classes, les punitions corporelles étaient fréquentes – du genre une bonne claque sur la tête, un coup de règle métallique sur les doigts ou encore rester à genoux sur une règle pendant une demi-heure. C’est ce que pratiquait l’instituteur que j’ai eu au CM2. Cette année-là, Mai 68 m’est venu en aide et a raccourci d’un mois mon calvaire. Il signait par la même occasion la fin des sanctions que cet instituteur infligeait à ses élèves. A partir de l’année suivante, la pédagogie prenait enfin en compte la spécificité des gauchers. L’école devenait mixte. Et cet enseignant avait le cÅ“ur trop tendre pour taper en toute bonne conscience avec sa règle sur les doigts délicats des filles. En homme à cheval sur les principes, il cessa du même coup de taper sur ceux des garçons. Une époque s’était achevée. Une époque où le pouvoir politique était autiste et les médias muselés. Une époque aussi où les professions intermédiaires assuraient, sans trop se poser de questions, la perpétuation d’un système. Toute ressemblance avec une situation existante ne serait pas fortuite. Combien de temps la période qui lui a succédé tiendra-t-elle encore ?

Christian LEJOSNE


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